
Le mythe du trou, ou la passivité sexuelle féminine
Non, nous ne sommes pas des trous. C’est ce que défend Maïa Mazaurette dans son livre paru en 2020 « Sortir du trou, Lever la tête » aux éditions Anne Carrière.
Le trou, ou la négation du sexe féminin
La chroniqueuse spécialiste de la sexualité s’attaque à un mythe bien ancré dans notre société, et ceux depuis l’antiquité : le vagin serait un trou qu’il s’agirait de combler avec le pénis de l’homme. Remplir ce « trou » : l’enjeu principal d’une relation sexuelle, il n’y aurait rien d’autre à faire que de le trouver et d’y entrer. Mais si l’on demande aux hommes de le chercher ce trou, en est-ce vraiment un ?
Si l’anatomie féminine fait l’objet d’une pléthore de métaphores, le trou reste la préférée. Qui n’a jamais entendu la fameuse, la sublime, la très distinguée expression : « un trou c’est un trou » ?
L’allégorie du trou nous la devons, entre autres, au mythe de l’androgyne de Platon dans lequel Zeus attribue aux hommes et aux femmes des organes génitaux complémentaires (merci pour les non-hétérosexuel.e.s) qui s’emboitent : aux hommes l’excroissance du pénis, aux femmes l’absence du trou. Et pour ne rien arranger, les représentations de la vulve dans les manuels de biologie dans lequel l’entrée du vagin prend effectivement la forme d’un orifice béant, nous conforte dans la croyance en la mythologie antique.
« Si les hommes ont un pénis, les femmes ont un trou. L’idée est non seulement pratique mais intellectuellement pas compliquée et esthétiquement plaisante. »
– Maïa Mazaurette, Sortir du trou, Lever la tête, Editions Anne Carrière, 2020. p. 29.
À la vulve, on préfère le trou, car la vulve fait écho à la complexité de l’anatomie féminine : lèvres, glandes, peau, muqueuses, sécrétions. Tout ceci va contre l’idée du trou qui renvoie au vide, à l’absence.
Or non les femmes n’ont pas « rien », elles ont un sexe, une vulve qui mouille, se contracte, éjacule même parfois. Elles ont un clitoris qui entre en érection, des glandes sécrétant cyprine et liquide éjaculatoire, un utérus, un vagin qui s’étend et par lequel, parfois, passe un bébé. Et d’ailleurs, c’est souvent douloureux, pourtant si les femmes ont un trou, ça ne devrait pas l’être, si ? Ça n’a pas mal un trou. Et, à l’inverse, comment un trou peut-il permettre jouissances et orgasmes ? Aux dernières nouvelles, un trou, ça ne fait pas grand chose.
Non, les femmes n’ont pas de trou : petit cours d’anatomie
Le sexe féminin, souvent réduit au vagin, est infiniment plus riche et complexe qu’une simple cavité, réceptacle du pénis masculin. Alors on retourne en cours de SVT et on fait un petit résumé de l’anatomie féminine. (Promis c’est mieux qu’au collège).
Image : Getty Image
Du point de vue extérieur
- Le gland et la tige du clitoris
- Les petites et grandes lèvres
- Le méat urétral
- L’entrée du vagin

Les secrets cachés à l’intérieur
- Le corps et les piliers du clitoris constitués de corps caverneux
- Les bulbes du clitoris qui entourent l’entrée du vagin
- Les glandes vestibulaires majeures (ou glandes de Bartholin) qui sécrètent la cyprine, lubrifiant faisant partie de la « mouille »
- Le vagin
- La vessie (certains chercheurs pensent que les émissions fontaines ou squirt proviennent de celle-ci)
- L’urètre
- Les glandes para-urétrale (ou glandes de Skene), également appelées prostate féminine, qui sécrètent le liquide éjaculatoire, souvent imperceptible.
- Le col de l’uterus situé au fond du vagin
- L’utérus, d’où le sang des menstruations provient et où l’embryon se développe
- Les ovaires
- Les trompes de Faloppe
- Le périnée, ensemble de plusieurs muscles (dont on vous épargnera les noms scientifiques barbares) allant de l’os du pubis au coccyx. Il soutient la zone du bassin, des organes génitaux et de l’anus. Ayant un rôle majeure dans le plaisir sexuel, bien musclé, il permet d’augmenter les sensations chez les deux partenaires.
Le trou ou le mythe de la passivité féminine
L’appareil génital féminin n’est donc pas le néant absolu. Or, ce mythe du trou renvoie les femmes à la passivité, à la négation, à l’immanence. Idée conceptualisée pour la première fois dans « Le deuxième sexe, Tome 1 – les faits et les mythes » (1949), ouvrage majeur de la pionnière du féminisme en France, Simone de Beauvoir. L’homme est agressif, courageux, conquérant. Il est premier, la femme est l’autre à qui il manque quelque chose, elle ne prend pas, elle est prise. L’homme pénètre, la femme est pénétrée.
Il s’agit néanmoins de rappeler que la femme est loin d’être passive lors d’une pénétration, elle ne fait pas que recevoir le penis de l’homme. Cette réception demande bon nombre d’actions : elle doit sécréter de la cyprine pour faciliter l’intromission du pénis, guider son partenaire, décontracter ou contracter ses muscles pelviens. On conseille d’ailleurs souvent aux femmes de rééduquer leur périnée après un accouchement. Nous sommes tout de même à milles lieues de l’idée de passivité sexuelle si chère à nos yeux.

Et nous ne parlons même pas des moments durant lesquels c’est la femme qui bouge et ondule son bassin pour le plaisir de son partenaire et le sien, où elle apprend à contracter les muscles de son plancher pelvien pour mieux enserrer le pénis et donner ainsi d’avantage de plaisir, ou encore lorsqu’elle stimule son clitoris pour favoriser l’excitation et la lubrification. Nous pouvons également mentionner le rôle des muscles sphinctériens, qui contrôlent l’ouverture et la fermeture des orifices (ici l’anus), lors d’une sodomie.
La femme peut également jouer un rôle dans la non-pénétration. En cas de vaginisme, trouble qui toucherait entre 1 et 3% des femmes en France, les muscles du périnée se contractent involontairement, rendant difficile, voire impossible, toute tentative de pénétration qui devient alors douloureuse. Alors, il est où le trou ?
Au delà de la seule pénétration, la femme, comme l’homme, stimule son/sa partenaire avec des caresses, des mots, des doigts, une langue … elle est maîtresse de son corps et réalise une multitude d’actions rendant l’acte sexuel possible et agréable.
L’aspect psychologique entre aussi en compte, si le stress, l’appréhension ou, à l’inverse, le bien-être, l’excitation et le désir ont leur importance dans l’érection du pénis, il en va de même pour la femme, pour qui le rapport sexuel sera facilité si elle est détendue, apaisée et si, bien sûr, elle le désire.
Finalement la métaphore d’un trou à combler nous donne une vision de l’amour dans laquelle la pénétration est centrale et est finalité. Non seulement cette conception met de coté d’autres formes de rapports intimes, notamment non-hétérosexuels, mais cela réduit également les multiples possibilités érotiques qu’offrent une sexualité non – pénétrative.
Très instructif, merci pour les références !