Non, les femmes ne sont pas hystériques.
Disparu des manuels de psychiatrie et retiré de la liste des maladies clinique en 1952, le terme « hystérie » fait toujours parti de notre vocabulaire, aussi bien dans les sphères médiatiques que dans nos discussions privées. Loin d’être utilisée pour parler d’un trouble psychiatrique, l’hystérie est une arme verbale de choix pour quiconque souhaite discréditer le discours, généralement teinté de colère, d’une femme. Les mots que nous utilisons ont un poids, une histoire, et sont parfois liés à des événements dont on ne peut se défaire. L’hystérie en fait partie et il conviendrait d’arrêter de l’employer. On vous explique pourquoi.
Aux origines de l’hystérie
Il suffit déjà simplement de se pencher sur les racines étymologiques du terme « hystérie » pour se rendre compte du caractère fondamentalement sexiste de cette qualification.
C’est dans un papyrus égyptien datant de l’an 1900 av JC que nous retrouvons la plus ancienne trace écrite de ce concept. Il y décrit des troubles causés par un « utérus baladeur ». Le médecin grec Hippocrate utilise le terme hystera pour décrire une maladie liée à l’utérus. Celui-ci, en se déplaçant dans le corps est à l’origine de divers symptômes parmi lesquels : des crises de nerfs, des phobies, l’expression d’un désir sexuel, des spasmes, des délires ou crise de paranoïa… en bref l’hystérie est un, mot qui veut tout et surtout rien dire.
L’hystérie n’a pas une seule mais une myriade de définitions possibles, ces dernières ayant évolué au cours de l’histoire. On nous parle d’une « structure névrotique de la personnalité, caractérisée par la traduction en symptômes corporels variés de représentations et de sentiments inconscients » (Larousse) ou encore d’une « névrose, aux tableaux cliniques variés, dans laquelle le conflit psychique peut s’exprimer par des symptômes physiques d’ordre fonctionnel ou psychologiques comme des crises émotionnelles, éventuellement des phobies » (psychiatrie/psychanalyse). Pas sur que ça nous aide à y voir plus clair.
À l’Antiquité, Platon identifie les causes et les manifestations de l’hystérie -maladie encore une fois exclusivement féminine- dans le Timée (oeuvre majeure du philosophe). L’utérus, ou la matrice, serait un animal désirant si ardemment procréer, que lorsque ce n’est pas le cas, il parcourt tout le corps et arrête la respiration.
Au début du Moyen- Âge, l’hystérie est moins liée au déplacement de l’utérus dans le corps qu’à la rétention des sécrétions sexuelles et menstruelles qui se propagent dans les vaisseaux et les nerfs, à l’origine des symptômes. Selon le philosophe médecin Avicienne (980-1037) , elle est ainsi causée par la continence sexuelle et serait le fait des vierges et des veuves. À la fin du Moyen Age, les femmes manifestant des symptômes hystériques étaient soit considérées comme possédées par le diable et « soignée » par l’exorcisme, soit comme des sorcières. Dans ce cas, elle faisait l’objet de lynchages, de dénonciations, jugées au tribunal ou brûlées sur le bûcher.
Plus tard au 16e siècle, les convulsions et suffocations dont souffrent certaines femmes sont considérées comme la manifestation du désir sexuel, donc un péché. L’hystérie est alors propre à la nature féminine. Elle est expliquée par l’appétit sexuel démesuré de la femme et par l’imperfection de leur sécrétions vaginales. Le médecin et anatomiste français Jaques Duboit affirme en 1559 la théorie d’une débilité féminine. Les femmes étant soumises à leur rythme biologique, dépourvues d’autonomie et de contrôle, doivent se soumettre à l’autorité des hommes. Les troubles hystériques servent de justification à l’évincement des femmes des sphères du savoir et du pouvoir. Vous commencez à comprendre pourquoi ce mot pose problème ?
Au début du 17e siècle, Charles Le Pois est le premier à réfuter les causes utérines de l’hystérie, à en parler comme d’une maladie aux origines cérébrales et à affirmer l’existence d’une hystérie masculine. En 1847, Paul Briquet dénombre quant à lui un cas d’hystérie masculine pour vingt cas féminin et prétend que le trouble est le fait des prostituées et non des religieuses. Le médecin postule également l’hérédité de l’hystérie. Enfin Jean Martin Charcot, neurologue, psychiatre, neurobiologiste et psychologue (rien que ça) renouvelle l’approche de la névrose en défendant une cause traumatique de l’hystérie, pouvant être soignée par l’hypnose.
Freud et l’hystérie
À la fin du 19e siècle, le fondateur de la psychanalyse Sigmund Freud fait de l’hystérie l’un des fondement de sa discipline. Sous l’influence de Charcot, il la définit comme étant « le retour à l’état psychique que le malade a vécu par le passé, un souvenir traumatisant oublié qui se traduit par une quelconque angoisse », le psychanalyste soignera cette névrose par la méthode cathartique consistant à faire tomber les barrières psychologiques du patient grâce à l’hypnose afin de réveiller des souvenirs traumatiques vécus pendant l’enfance, à l’origine de troubles.
Cependant, la fonction sexuelle deviendra la source psychique de l’hystérie. Il recevra dans son cabinet de nombreuses femmes et en tirera 4 cas de référence. Sur la base de ces patientes, il affirme que l’hystérie est le produit d’un traumatisme sexuel, érotique ou amoureux. Les troubles provoqués par l’hystérie sont ainsi systématiquement liés à la fonction sexuelle. Si Freud ne nie pas l’existence d’une hystérie masculine, tous les cas présents dans son étude sont des femmes.
Aujourd’hui, l’étude de Freud sur l’hystérie semble quelque peu désuète. L’hystérie ne fait plus partie de la classification internationale des maladies. Elle y est dispersée une pluralités de névrose comme le trouble de conversion, le syndrome dépressif ou encore le trouble dissociatif de l’identité.
En finir avec l’hystérie
L’hystérie n’est donc pas une maladie, ni un trouble clinique. Elle n’est pas non plus une émotion, un caractère ou un trait de personnalité. Les origines de l’hystérie, ses « traitements » et son étymologie en font un terme qu’on ne peut utiliser à tort et à travers. Complètement déconnectée de son histoire, l’hystérie est aujourd’hui employée pour qualifier une femme exprimant sa colère, ne retenant pas ses émotions. Il s’agirait d’arrêter le très célèbre « mais tu es complètement hystérique » qu’on utilise afin de discréditer une femme exprimant ses opinions de manière virulente. Quelque soit ses propos, que l’on soit d’accord, ou non, traiter une femme d’hystérique c’est la faire passer pour folle, c’est lui interdire le droit d’exprimer des émotions.
Sources et Références :
Arce, Charlotte. « L’hystérie, la démence…pour accabler les femmes, toutes sortes de maladies ont été inventées dans le passée ». Le Huffington Post. 4 Avril 2015. Disponible sur : https://www.huffingtonpost.fr/2015/04/04/hysterie-demence-accabler-femmes-maladies-ridicules_n_7000090.html
Brémaud, Nicolas. « Panorama historique des définitions de l’hystérie », L’information psychiatrique, vol. volume 91, no. 6, 2015, pp. 485-498. Disponible sur : https://www.cairn.info/revue-l-information-psychiatrique-2015-6-page-485.htm
Bourquin, Jimmy. « L’hystérie et Freud : quand les traumatises relevaient d’abord de la sexualité ». France Inter. 24 Septembre 2019. Disponible sur : https://www.franceinter.fr/sciences/l-hysterie-et-freud-quand-les-traumatismes-relevaient-d-abord-de-la-sexualite
Trillat, Etienne. « Promenade à travers l’histoire de l’hystérie ». Histoire, économie et société, 1984, 3ᵉ année, n°4. Santé, médecine et politiques de santé. pp. 525-534. Disponible sur : https://www.persee.fr/doc/hes_0752-5702_1984_num_3_4_1371