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Par Union.fr

Comment le chemsexe trahit les travers de nos sexualités ?

Par | 17 avril 2021

Le chemsexe, mêlant toxicomanie et sexualité débridée, est une pratique intense et addictive, dans laquelle la jouissance est démultipliée et où les pratiquant.e.s peuvent être amené.e.s à dépasser leurs limites sous l’effet des produits. 

Au delĂ  d’un phĂ©nomène de sociĂ©tĂ©, il pourrait ĂŞtre un rĂ©vĂ©lateur des Ă©volutions et des travers de nos sexualitĂ©s aujourd’hui. Il n’est pas ici question de poser faits et vĂ©ritĂ©s absolues mais de tenter d’établir des ponts entre le chemsexe et la sociĂ©tĂ© occidentale du 21e siècle. De s’interroger sur ce que cette pratique pourrait rĂ©vĂ©ler de nous mĂŞme. 

Libération et nouvel ordre sexuel

Les produits consommés dans le cadre du chemsexe enlèvent nos inhibitions, font sauter nos barrières morales, décuplent la jouissance et affranchissent les limites du possible. L’idéologie soixthuiarde résonne dans le chemsexe : « Jouir sans entrave » « Interdit d’interdire » : c’est exactement cela dont il est question quand on pousse les portes de ses appartements transformés en temples du sexe, imprégnés par des molécules de l’extase et où résonnent bruit de briquets qui s’allument et râles de plaisir. 

Le chemsexe nous invite à questionner la libération sexuelle des années 70 qui se poursuit aujourd’hui avec la révolution du plaisir féminin. Cette promesse d’affranchissement des diktats, d’abolition des tabous est séduisante, certainement indispensable, sans doute toujours nécessaire et porteuse d’espoir d’une société épanouie. Il serait néanmoins naïf d’ignorer le versant sombre de la libération sexuelle : affranchir les limites du désir et du sexe ne reviendrait-il finalement pas à les dépasser ? Nos limites ne sont-elles pas nécessaires ? 

Le chemsexe semble ĂŞtre le lieu oĂą cette destruction absolue de nos barrières est possible. Cela en fait un formidable terrain d’exploration de ces questionnements. Les drogues utilisĂ©es rĂ©veilleraient une forme de bestialitĂ© : les codes sociaux et les normes morales valsent pour laisser place Ă  des individus deshinibĂ©s Ă  l’extrĂŞme. Mais les partouzes avec des inconnus, les fist anaux, la domination et le plaisir individualisĂ© font-ils partis de notre idĂ©al portĂ© par la libĂ©ration sexuelle ? 

La rĂ©alitĂ© du chemsexe est que, souvent, les pratiquants se dĂ©goutent, regrettent et se rendent compte que sobres, jamais ils n’auraient rĂ©alisĂ© ces pratiques. Il ne s’agit pas lĂ  de stigmatiser quelconque formes de sexualitĂ©s ou de pratiques sexuelles. Ces pratiques, lorsqu’elles sont consenties, ne devraient en aucune façon faire l’objet de tabous ou de condamnations. Il s’agit simplement s’interroger sur le dĂ©passement de nos limites individuelles sous couvert d’une libertĂ© absolue et d’une jouissance infinie.  La plus grande libertĂ© est-elle rĂ©ellement de « tout Â» essayer ? 

« On a des verrous et c’est ça qui permet de vivre ensemble. Ça ne fait pas trop hĂ©doniste ou libertaire de le dire, mais les inhibitions sont nĂ©cessaires, premièrement par ce que sans elles, le principe du consentement n’existe plus.» – Johann Zarca, entretien pour Sexe En France

Christian Auther, auteur de l’ouvrage « Le nouvel ordre sexuel Â» s’interroge dans une interview du Monde, sur ce dĂ©senchantement de l’hĂ©donisme soixhuitard : « Si l’on pousse la logique de la destruction des tabous et des interdits Ă  son terme, s’il n’y a plus de limites, c’est l’individu seul, Ă©goĂŻste, qui pratique la loi du plus fort. Â»

Consumérisme et individualisme : sexualité insatiable et narcissique

« Le chemsex c’est le sexe le plus retirĂ© de l’affectif et de l’émotion. C’est le consumĂ©risme et l’individualisme de la sociĂ©tĂ© poussĂ©s Ă  leur paroxysme. Â» – Johann Zarca, entretien pour Sexe En France.

Mais comment donc trouver des plan chems ? Rien n’est plus simple, internet est notre meilleur ami. En quelques clics depuis votre navigateur vous pouvez choisir vos produits : 3MMC, GBL et un peu d’amphĂ©t’. Ajouter au panier. Commander.  C’est Ă  la maison 3 jours plus tard. Quant aux rencontres, quelques swipes sur nos appli pour sĂ©lectionner nos futurs compagnons de partouze. Un jeu d’enfant. 

Les sites de rencontre de la modernité hyperconnectée ne font que magnifier le caractère consumériste présent dans nos sexualités. Dans le chemsexe, les méthodes utilisées pour trouver des partenaires de jeu reviennent à considérer l’individu comme un produit. Mais ne nous méprenons pas, le chemsexe n’y est pas pour grand chose, il ne fait que révéler les logiques consuméristes et capitalistes présentes dans nombre d’interactions sexuelles aujourd’hui. La sociologue Eva Illouz questionne les effets de la libération sexuelle et examine comment «la culture consumériste est devenue la pulsion inconsciente structurant la sexualité.». Elle montre comment le casual sex est devenu le terrain de la liberté absolue et de l’affirmation d’un soi autonome et hédoniste. L’offre toujours croissante de partenaires sexuels permise par les applis de rencontre comme Tinder transforme les utilisateurs en consommateur de sexe et d’émotions. La liberté sexuelle devient une nouvelle morale, une composante de l’identité, un style de vie à adopter. Sexe libéré et tabous sautés à la dynamite : un immense éventail de possibilités s’offre à nous.

Nous arrivons Ă  une extension considĂ©rable du territoire du plaisir : plus de personnes avec qui coucher, plus de pratiques Ă  essayer, l’offre du sexe ne s’arrĂŞte plus et finalement l’attrait du possible nous plonge dans une incertitude constante. Il serait alors question d’une anomie sexuelle, les objets de nos dĂ©sir se multiplient et font du cĂ©libataire moderne un individu en quĂŞte perpĂ©tuelle du mieux, du plus, toujours plus. Ce dĂ©sir sans objet dĂ©fini devient, par dĂ©finition, insatiable. 

« Du moment qu’on est arrĂŞtĂ© par rien, on ne saurait s’arrĂŞter soi mĂŞme. Au delĂ  des plaisirs dont on fait l’expĂ©rience, on en imagine et on en veut d’autres, s’il arrive qu’on ait Ă  peu près parcouru tout le cercle du possible, on rĂŞve Ă  l’impossible, on a soif de ce qui n’est pas. Â» – Émile Durkheim, Le Suicide, 1897, citĂ© par Eva Illouz dans La fin de l’amour (2018)

Dans le chemsexe, la sexualité est ramenée au pur plaisir du corps, le sexe rafle tout, beaucoup de chemsexeurs sont obnubilés par leur jouissance : l’autre devient un outil au service de l’orgasme. Se développerait alors une sexualité narcissique dans lequel il n’est question que d’amour de soi. En particulier chez les hommes, ou elle sert de validation sociale, rassure sur la capacité à bander, prouve la virilité, comble les insécurités et le manque affectif.  Serait-ce absurde de prendre le chemsexe comme un miroir grossissant de nos travers ?  Rien n’est moins sûr. Les plans culs, coups d’un soir et autres sexfriends participent à un hédonisme auto-centré ou seul le moi compte. On y adopte des stratégies symboliques de schisme du corps et de l’individu. Le corps devient une source de plaisir, une pure matérialité et l’acte sexuel, le principal, pour ne pas dire le seul objectif. La sexualité est alors un lieu d’exploration, d’optimisation de son plaisir et de réalisation personnelle.

Comment cette rĂ©ification (ou chosification) de nos partenaires et le narcissisme de nos sexualitĂ©s sont-ils possibles ? Comment nier l’individualitĂ© de l’autre pour jouir sans entraves et partir au milieu de la nuit sans jamais dire « au revoir » ou « merci Â» ? La dissociation entre sexe et sentiments pourrait y ĂŞtre pour quelque chose. Reste la question de savoir si elle une cause ou une consĂ©quence de la libĂ©ralisation du sexe. L’attachement, l’émotion, les liens sont beaucoup trop instables et ne sont que peu compatibles avec la quĂŞte de plaisirs immĂ©diats et illimitĂ©s. «S’attacher» Ă  quelqu’un : le mot en lui mĂŞme va Ă  l’encontre de la sainte « libertĂ© Â» sexuelle. Ne considĂ©rons que nos corps et nous serons libres. Peut-ĂŞtre, mais serons nous heureux ?

Par ce que le chemsexe est l’apogĂ©e de la « libertĂ© Â» sexuelle absolue, de la levĂ©e des inhibitions, de la rĂ©ification de l’individu et du consumĂ©risme sexuel, il semble rĂ©ducteur de le prendre uniquement comme un phĂ©nomène de sociĂ©tĂ© ou une pratique marginale. Il soulève des questionnements plus profonds sur nos sexualitĂ©s aujourd’hui. Il ne s’agit pas de nier les avancĂ©es considĂ©rables en matière de libĂ©ration sexuelle ni  de condamner  le sexe libre, l’exploration et la jouissance. Encore moins de fustiger sur la place publique nos comportements sexuels mais simplement de questionner la nature de cette libĂ©ration et de ce qu’elle peut impliquer. Sommes nous rĂ©ellement libre dans la consommation des corps ? LibĂ©ration est-elle synonyme de destruction de toutes formes d’attaches ? Ou, comme le formule Eva Illouz : A quel moment cesse la libertĂ© et commence le chaos amoral ? 

La libertĂ© peut ĂŞtre comprise comme la possibilitĂ© infinie de l’action, mais elle est aussi la possibilitĂ© de l’inaction. Pouvoir dire non, poser ses limites, choisir de s’arrĂŞter, refuser, vivre ses Ă©motions et sa vulnĂ©rabilitĂ© d’ĂŞtre humain, n’est ce pas lĂ  aussi, la vraie libertĂ© ?

Sources et Références :

Illouz, Eva. La fin de l’amour – enquĂŞte sur un dĂ©sarroi contemporain. Édition Seuil. 2018.

Zarca, Johann. Chems. Édition Grasset. 2021. 

AndrĂ©, Jacques. « SexualitĂ© d’hier et d’aujourd’hui Â», Le Carnet PSY, vol. 174, no. 7, 2013, pp. 46-53. Disponible sur : https://www.cairn.info/revue-le-carnet-psy-2013-7-page-46.htm 

De HadjetlachĂ©, Monique. « La sexualitĂ© aujourd’hui : Épanouie ou brisĂ©e ? Â». La Revue ReformĂ©e.  Disponible sur : https://larevuereformee.net/articlerr/n229/la-sexualite-aujourdhui-epanouie-ou-brisee 

GrĂ©goire, Muriel. « Slam, chemsex et addiction sexuelle Â», Psychotropes, vol. vol. 22, no. 3-4, 2016, pp. 83-96. Disponible sur : https://www.cairn.info/revue-psychotropes-2016-3-page-83.htm?contenu=article 

Neyrand, GĂ©rard. « Le couple comme idĂ©al, rĂ©ponse Ă  l’ultra-moderne solitude de l’individualisme dĂ©mocratique et marchand Â», Cahiers de psychologie clinique, vol. 36, no. 1, 2011, pp. 117-128. Disponible sur : https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-psychologie-clinique-2011-1-page-117.htm?contenu=article

Bardou, Florian. Bossanne, Emmanuel. « Accros au chemsex, le sexe sous drogue Â». StreetPress. 26 FĂ©vrier 2016. Disponible sur : https://www.streetpress.com/sujet/1456503357-sexe-sous-drogue-chemsex-slam 

Bourseul, Vincent. « Ce que le chemsexe nous dit du Sida, de l’amour, de la mort. Â» Le Huffington Post. 21 Octobre 2018. Disponible sur : https://www.huffingtonpost.fr/vincent-bourseul/ce-que-le-chemsex-nous-dit-du-sida-de-lamour-de-la-mort_a_23078806/ 

Interview de Christian Authier : « Le problème de fond dans la sexualitĂ© et l’absence de tabous, c’est l’individualisme et la loi du plus fort». Le Monde. 19 DĂ©cembre 2002. Disponible sur : https://www.lemonde.fr/societe/article/2002/12/19/christian-authier-journaliste-le-probleme-de-fond-dans-la-sexualite-et-l-absence-de-tabous-c-est-l-individualisme-et-la-loi-du-plus-fort_302879_3224.html  

Badache, RaphaĂ«l. Biju-Ducal, Thibault. « Chemsex, le flĂ©au sous drogues Â» (reportage). Youtube. 17 FĂ©vrier 2019. Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=W-9VFocHkrA

2 pensées sur "Comment le chemsexe trahit les travers de nos sexualités ?"

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